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gilets jaunes - Page 4

  • Le temps des gens ordinaires ?...

    Les éditions Flammarion viennent de publier un essai de Christophe Guilluy intitulé Le temps des gens ordinaires. Géographe, Christophe Guilluy est l'auteur d'essais importants et très commentés, Fractures françaises (Flammarion, 2010), La France périphérique (Flammarion, 2014), Le crépuscule de la France d'en haut (Flammarion, 2016) et No society (Flammarion, 2018).

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    " A la une du New York Times habillés d'un gilet jaune, poursuivis par les journalistes britanniques à l'occasion du Brexit, fêtés comme des héros pendant la crise sanitaire, redevenus des sujets d'études pour les chercheurs, de nouvelles cibles du marketing électoral pour les partis, les gens ordinaires sont de retour. Les " classes populaires ", le " peuple ", les " petites gens " sont subitement passés de l'ombre à la lumière. Les " déplorables " sont devenus des " héros ". Cette renaissance déborde désormais des cadres du social et du politique pour atteindre le champ culturel. De Hollywood aux rayons des librairies, la culture populaire gagne du terrain. Ses valeurs traditionnelles, - l'attachement à un territoire et à la nation, la solidarité et la préservation d'un capital culturel - imprègnent tous les milieux populaires. Jack London usait d'une métaphore pour décrire la société de son temps : la cave et le rez-de-chaussée pour les plus modestes, le salon et les étages supérieurs pour les autres. Et si, aujourd'hui, plus personne ne voulait s'inviter au salon ? Sommes-nous entrés dans le temps des gens ordinaires ? "

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  • Déconfinement, délinquance, banlieue : le coup d'oeil de Xavier Raufer...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Xavier Raufer à Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque les suites du confinements en matière de délinquance et d'ordre public.

    Criminologue et auteurs de nombreux essais, Xavier Raufer a publié ces dernières années Les nouveaux dangers planétaires (CNRS, 2012) et Criminologie - La dimension stratégique et géopolitique (Eska, 2014) et, tout récemment, Le crime mondialisé (Cerf, 2019).

     

     

                                           

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  • Le retour au commun...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur le site de la revue Rébellion et consacré à la question du libéralisme. Philosophe et essayiste, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017), Décroissance ou toujours plus ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2018) et Contre le libéralisme (Rocher, 2019).

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    Entretien avec Alain de Benoist : Le retour au commun

    Vous montrez que les différentes formes de libéralisme partagent une même conception de l’homme. Quelle est cette définition dans la pensée libérale ?

    L’unité profonde du libéralisme réside dans son anthropologie – une anthropologie dont les deux piliers sont, indissociablement, l’individualisme et l’économisme.

    Le libéralisme fait de l’individu la seule et unique source des valeurs et des finalités qu’il se choisit. Cet individu est considéré en soi, abstraction faite de tout contexte social ou culturel. C’est un être fondamentalement indépendant de ses semblables, entièrement propriétaire de lui-même, ne devant rien à la société, déterminant librement ses choix, qui vise toujours et uniquement à maximiser rationnellement son utilité, c’est-à-dire son meilleur intérêt matériel et son profit privé. Cette thèse fait de l’homme un être de calcul et d’intérêt. Le modèle est celui du négociant au marché : c’est l’Homo œconomicus.

    L’individu étant censé venir en premier, soit qu’on le suppose antérieur au social dans une représentation mythique de la « pré-histoire » (antériorité de l’état de nature), soit qu’on lui attribue un simple primat normatif (l’individu est ce qui vaut le plus), les peuples et les nations n’ont plus de propriétés intrinsèques ou de statut d’existence autonome : ce sont de simples agrégats d’individus. « La France n’est qu’un agrégat d’êtres humains », écrit l’économiste libéral Bertrand Lemennicier. C’est dans le même esprit que Margaret Thatcher pouvait affirmer que « la société n’existe pas » (« there is no society »).

    Dans ces conditions, l’homme est censé se construire lui-même à partir de rien, non à partir d’un déjà-là. L’homme se comporte comme un être social, non parce que cela est dans sa nature, ainsi que le soutenait Aristote, mais parce qu’il est censé y trouver son avantage, ce qui signifie qu’il n’a pas de rapport éthique avec lui-même. Dans le libéralisme, le lien social dépend entièrement du système contractuel : la société est censée pouvoir être entièrement régulée par le contrat juridique et l’échange marchand. C’est la fin du bien commun, faussement assimilé à un « intérêt général » qui n’est qu’une somme d’intérêts particuliers. Dans la mesure où le libéralisme prétend mettre les institutions au service de l’individu, il s’oppose inévitablement au bien commun, qu’il considère comme inconsistant. Le monde libéral, c’est le monde du non-commun

    La liberté n’est pas le propre du libéralisme. La « liberté » des libéraux est-elle un moyen de créer un individu égoïste détaché de toutes attaches ?

    Le libéralisme se présente volontiers comme l’« idéologie de la liberté », ce qui peut évidemment séduire. En fait, il n’est pas tant l’idéologie de la liberté que l’idéologie qui met la liberté au service du seul individu. La seule liberté qu’il proclame est la liberté individuelle, conçue comme affranchissement vis-à-vis de tout ce qui excède l’individu. Elle rejette d’emblée toute détermination, notamment celles qui relèvent de l’ancrage historique ou de l’appartenance culturelle. Benjamin Constant n’a cessé de le dire : « La liberté individuelle, voilà la véritable liberté moderne ! » A cette conception « moderne » de la liberté on peut opposer celle des Anciens, qui fait de la liberté la possibilité donnée à chacun de participer aux affaires publiques, ou encore celle de la tradition « républicaine », de Tite-Live et Machiavel à Harrington, qui affirme que je ne peux être libre si la communauté politique à laquelle j’appartiens ne l’est pas. Cette liberté « républicaine » a le souci de la société en tant que telle, tandis que la liberté libérale l’ignore superbement.

    Le libéralisme se fonde par ailleurs sur la conviction qu’il existe des droits individuels fondamentaux et inaliénables qui sont à la fois antérieurs et supérieurs à toute institution humaine, et que le premier de ces droits est le droit de poursuivre librement son meilleur intérêt. Ces droits sont évidemment purement formels (le droit au travail n’a jamais donné un emploi), mais là n’est pas le point important : le droit fondamental, c’est le droit d’avoir des droits. Les droits individuels peuvent de ce fait être opposé à toute obligation sociale ou à tout impératif politique. Cette conception des droits subjectifs rompt avec toute la philosophie traditionnelle du droit, qui se bornait à déterminer la juste part qui devait être attribuée à chacun (« suum cuique tribuere »).

    Comme vous le rappelez justement, les communautés authentiques ne sont pas des réunions ou des additions d’individus. Pourtant, dans le monde post-moderne, les néo-communautés se regroupent de manière très artificielle. Les modèles de consommation ou les pratiques sociétales créent des « communautés de consommation ». Pensez-vous que c’est un « triomphe du libéralisme » ?

    Je ne dirais pas cela. Les « communautés authentiques » ne sont pas forcément des communautés fondées sur des liens hérités. Il y a aussi des communautés « acquises », mais il faut les distinguer des « tribus » éphémères et des associations sans autre raison d’être qu’un intérêt partagé. Une communauté authentique donne (ou contribue à donner) un sens à l’existence. Elle peut aussi donner des raisons de mourir. Une communauté qui se forme autour d’un certain nombre de convictions politiques, idéologiques ou philosophiques est par définition une communauté « acquise » (même si cette acquisition peut être transmise). Un homme qui sacrifie sa vie à ses idées meurt pour une chose à laquelle il a décidé d’adhérer. Mais personne n’est prêt à mourir pour une « communauté de consommation » !

    Plus globalement, comment juger de l’impact du libéralisme dans les sociétés occidentales ? La « grande transformation » capitaliste est-elle résorbable ?

    L’impact du libéralisme au sein de la société se mesure à la montée de l’individualisme et de l’utilitarisme, à la prédominance des seules valeurs marchandes. La société capitaliste libérale est tout naturellement une société de marché, c’est-à-dire une société d’individus étrangère à la notion de gratuité, à l’éthique de l’honneur, au système du don et du contre-don, une société où règne le fétichisme de la marchandise et où ce qui n’est pas calculable ne compte pas.

    Le marché peut être considéré comme une loi régulatrice de l’ordre social sans législateur. C’est pourquoi le libéralisme tend à faire de ce modèle le paradigme de tous les faits sociaux (d’où l’analyse libérale du marché politique, du mariage, du crime, de la famille, etc.), tout en prétendant, à tort, que le marché au sens moderne du terme est la forme naturelle de l’échange, alors qu’il a été institué sous l’impulsion d’Etats-nations en formation, désireux de monétariser à des fins de prélèvement fiscal des échanges intracommunautaires non marchands, auparavant insaisissables. Or, le marché exige la disparition de tout ce qui peut faire obstacle aux échanges marchands, et donc que les frontières soient tenues pour inexistantes. Le libéralisme n’a de ce point de vue rien à objecter au mondialisme. Il aspire à l’élimination des frontières (« laissez faire, laissez passer », libre circulation des hommes et des capitaux). Un million d’extra-Européens venant s’installer en Europe, c’est à ses yeux seulement un million d’individus venant s’ajouter à d’autres millions d’individus. « Un marchand, écrit Smith dans un passage célèbre, n’est nécessairement citoyen d’aucun pays en particulier. Il lui est, en grande partie, indifférent en quel lieu il tienne son commerce, et il ne faut que le plus léger dégoût pour qu’il se décide à emporter son capital d’un pays dans un autre, et avec lui toute l’industrie que ce capital mettait en activité ». C’est déjà une apologie des délocalisations !

    La montée de l’individualisme libéral, accompagnant l’ascension des valeurs et des classes bourgeoises, aux dépens des valeurs aristocratiques comme des valeurs populaires, s’est traduite, d’abord par une dislocation progressive des structures d’existence organiques caractéristiques des sociétés traditionnelles, ensuite par une désagrégation généralisée du lien social, et enfin par une situation de relative anomie sociale, où les individus se retrouvent à la fois de plus en plus étrangers les uns aux autres et potentiellement de plus en plus ennemis les uns des autres, puisque pris tous ensemble dans cette forme moderne de « lutte de tous contre tous » qu’est la concurrence généralisée. A terme, cette anomie sociale peut aussi bien déboucher sur une société, non plus « liquide », mais « gazeuse », c’est-à-dire sur le chaos.

    On ne pourra en sortir que par un retour au commun. Dans cette perspective, le bien commun n’a d’autre sens que celui d’un bien qui a été institué en commun, et qui est inappropriable par nature. Dans l’expression « bien commun », le second terme compte d’ailleurs tout autant que le premier, car le commun est à lui seul déjà un bien qui se définit comme ce dont chacun peut jouir sans qu’on ait à en faire le partage. Restaurer le commun et le bien commun est le programme qui s’offre aujourd’hui à tous les antilibéraux si l’on veut sortir d’un monde où rien n’a plus de valeur, mais où tout a un prix.

    Le bourgeois post-moderne est-il très différent de celui de l’époque de Flaubert ?

    En apparence, il a beaucoup changé. Le bobo d’aujourd’hui paraît à première vue bien différent du bourgeois austère, frugal et épargnant, de la fin du XIXe siècle. Le premier est aussi cool que le second était rigide, il est aussi hédoniste et ouvert à toutes les suggestions les plus extravagantes que le second veillait de façon minutieuse au respect des conventions sociales. C’est que la société globale a elle-même beaucoup changé. Elle se veut « ouverte », fluctuante, relativiste, indifférente à la vérité. Mais ce qui, sur le fond, caractérisait le plus l’esprit bourgeois, le souci prioritaire de son intérêt, sa façon de concevoir la société sous le seul horizon du plus ou du moins, n’a pas varié. François Bégaudeau montre tout cela très bien cela dans son dernier livre, Histoire de ta bêtise.

    Autrefois, pour maximiser son avoir, le bourgeois vieux-style devait faire des efforts, s’astreindre à une discipline. Aujourd’hui, on peut s’enrichir tout en s’éclatant et en se bourrant le nez. Mais le but est resté le même. L’entreprise post-moderne est elle aussi bien différente de l’usine, tout comme le capitalisme spéculatif et déterritorialisé d’aujourd’hui diffère du vieux capitalisme industriel qui ne s’était pas encore dégagé de ses ancrages nationaux. Pourtant, dans les deux cas, le but est toujours de transformer l’argent en capital.

    Peut-être pourrait-on dire aussi que le bourgeois a créé son monde, et que dans ce monde les anciennes vertus n’ont plus besoin d’être incarnées de façon exemplaire par des individus, tout simplement parce qu’elles ont été reportées sur la société globale. Désormais, c’est la société elle-même qui doit être gérée de façon rationnelle, précautionneuse, fiable économiquement et commercialement. Werner Sombart l’avait très bien montré dans le cas de l’entreprise : le capitalisme moderne conserve toutes les vertus bourgeoises, mais il les soustrait aux personnes pour les reporter sur les firmes, qui cessent alors « d’être des propriétés inhérentes à des hommes vivants, pour devenir des principes objectifs de la conduite économique ». Or, aujourd’hui, les nations ne sont plus elles-mêmes que de grandes firmes, dirigées par des experts et des techniciens de la gestion.

    La démocratie et le libéralisme furent unis par l’idéologie des droits de l’homme. Désormais, il semble que ce couple soit au bord de la rupture comme modèle. Pensez-vous que le libéralisme est possible sans son habillage démocratique ?

    C’est d’autant plus possible que cet habillage n’a jamais été qu’un déguisement. A force d’entendre parler de « démocratie libérale », on s’est habitués à penser que libéralisme et démocratie sont en quelque sorte synonymes. C’est une énorme erreur. La démocratie implique le pouvoir souverain du démos ou, si l’on préfère, la souveraineté populaire en tant que pouvoir constituant titulaire de la légitimité politique. La démocratie est la forme de gouvernement répondant au principe de l’identité de vues des gouvernants et des gouvernés, l’identité première étant celle d’un peuple concrètement existant par lui-même en tant qu’unité politique. Le libéralisme est tout différent puisqu’il prétend que la « sphère économique » doit être rendue autonome vis-à-vis du pouvoir politique. L’économie, considérée à l’origine comme le royaume de la nécessité, devient ainsi par excellence celui de la liberté.

    Redéfinie dans un sens libéral, la démocratie n’est plus le régime qui consacre la souveraineté du peuple, mais celui qui « garantit les droits de l’homme ». Les droits de l’homme priment la souveraineté du peuple au point que celle-ci n’est plus respectée que pour autant qu’elle ne les contredise pas : l’exercice de la démocratie est ainsi placé sous conditions. Le libéralisme est en outre fondamentalement hostile à la notion de souveraineté – sauf bien entendu à la souveraineté de l’individu. Pour lui, toute forme de souveraineté excédant l’individu est une menace pour sa liberté. Il condamne donc la souveraineté politique et la souveraineté populaire au motif que la légitimité n’appartient qu’à la volonté individuelle. Toutes les démocraties libérales sont aussi des démocraties parlementaires représentatives, ce qui signifie que la souveraineté parlementaire s’y substitue à la souveraineté populaire. Pour le libéralisme, le pouvoir n’a pas fondamentalement pouvoir à diriger, mais à représenter la société. Dès l’origine, la démocratie représentative n’avait en fait d’autre but que de se prémunir contre les « débordements » du peuple et la colère des « classes dangereuses ». Jacques Julliard parle même d’une « barrière de sécurité imaginée par la classe gouvernante à l’égard des débordements possibles de la souveraineté populaire ». Or, le peuple a d’autant moins vocation à se faire représenter qu’il n’est vraiment souverain que lorsqu’il est présent à lui-même. C’est la raison pour laquelle Carl Schmitt disait qu’une démocratie est d’autant moins démocratique qu’elle est plus libérale.

    Les « démocraties illibérales » sont-elles une réponse à cette crise de légitimité ?

    Leur apparition répond de toute évidence à la crise actuelle de la démocratie libérale, et plus précisément à « l’éloignement du libéralisme de la démocratie, c’est-à-dire au non-respect de la souveraineté du peuple dès lors qu’il ne valide pas les choix économiques ou politiques des élites qui le gouvernent » (Laurent Bouvet). Plus profondément, les démocraties illibérales naissent d’une prise de conscience que le système formel de l’Etat de droit, conçu sous la forme d’un empilement de normes abstraites, ne répond pas à la question fondamentale de savoir ce que peut être une bonne société, ni quel sens nous pouvons donner à nos existences.

    L’Etat libéral s’abstient par principe de tout jugement concernant la façon dont les gens choisissent de vivre. Il n’a pas à trancher entre les conceptions concurrentes en matière de morale, il ne doit pas contribuer à donner un sens à l’existence, il ne doit pas proposer un modèle de « vie bonne » (Aristote), il n’a pas à encourager certaines attitudes ou à en décourager d’autres. Le gouvernement, souligne Robert Nozick, doit être « scrupuleusement neutre face à ses citoyens ». Comme le dit très bien Pierre Manent, le libéralisme est d’abord un renoncement à penser la vie humaine selon son bien ou selon sa fin ». Comment s’étonner dès lors de l’incapacité des sociétés libérales à légiférer de façon cohérente sur des « questions de société » (bio-éthique, procréation assistée, mariage homosexuel, immigration, etc.) qui impliquent inévitablement un jugement en termes de moralité substantielle ?

    La répression du mouvement des Gilets Jaunes est sans précédent, c’est un basculement durable dans le maintien de l’ordre libéral pour vous ?

    Oui, on peut dire cela. Lors des manifestations des Gilets jaunes, les forces de police n’ont pas fait du maintien de l’ordre, mais de la répression. Celle-ci a atteint un niveau de violence et de brutalité que l’on n’avait pas vu en France depuis la guerre d’Algérie. Cette brutalité témoigne de la peur que ce mouvement a inspiré à la classe dirigeante (souvenez-vous de cet hélicoptère qui volait au-dessus de l’Elysée afin d’« exfiltrer » le président de la République en cas de nécessité), mais aussi de ce que cette même classe dirigeante ne recule devant rien pour défendre ses positions. Si besoin était, elle n’hésiterait pas un instant à faire tirer sur la foule à balles réelles, j’en suis convaincu. 

    La crise des Gilets Jaunes a fait revenir l’idée d’une démocratie directe à travers le RIC. Que pensez-vous de cette idée et des travaux d’Étienne Chouard ?

    Je défends moi-même depuis longtemps l’idée d’une démocratie participative et d’une démocratie plus directe ; vous devez donc vous douter de ma réponse. Quant aux travaux d’Etienne Chouard, je trouve qu’ils mériteraient d’être mieux diffusés et plus abondamment discutés. L’idée, également avancée par Chouard, d’une assemblée constituante tirée au sort, mériterait notamment d’être sérieusement examinée. Quant au référendum d’initiative populaire (ou d’initiative citoyenne) dont ce critique résolu de l’idéologie libérale est un chaud partisan, je partage à ce sujet tout à fait son opinion, même si je ne fais pas du référendum une panacée. Qu’Etienne Chouard ait joué un rôle de « conseiller informel » auprès de certains Gilets jaunes ne me surprend pas, et me le rend d’autant plus sympathique.

    Pourquoi l’idée de la fin du capitalisme est aujourd’hui devenue synonyme de fin du monde ?  Le mythe du collapsus est-il devenu un moyen de légitimer le monde actuel ? Une autre fin du monde est possible pour vous ?

    Il est plus facile d’imaginer la fin du monde que celle du système capitaliste, a-t-on pu dire en effet. La raison en est que ce système a depuis des décennies façonné les imaginaires de toutes les façons possibles et imaginables. Il y a un demi-siècle, l’opinion dominante était également convaincue que le système soviétique n’était pas près de s’effondrer. On sait ce qu’il en est advenu. Je pense pour ma part qu’il peut très bien en aller de même du système capitaliste, qui se heurte actuellement à des contradictions internes insurmontables. Une nouvelle crise financière mondiale, plus ravageuse encore que celles de 1929 et de 2008, pourrait encore accélérer les choses. Mais, qu’on se rassure, ce ne sera pas la fin du monde ! Ce sera seulement la fin d’un monde qui, dans tous les sens du terme, a fait son temps.

    On remarque l’émergence d’une réflexion transversale visant à proposer des alternatives concrètes au système. Les notions de communauté, d’autonomie et d’entraide peuvent-elles devenir un nouvel élan vers le bien commun ?

    Oui, sans doute. Mais dans l’époque de transition que nous vivons actuellement, il reste encoree beaucoup à faire. Il serait déjà bien, dans l’immédiat, de susciter et d’organiser la réflexion en gardant l’œil ouvert sur ce qui s’annonce, de façon parfois confuse, afin de faire apparaître des directions à suivre.

     

    Alain de Benoist (Rébellion n°87, novembre 2019)

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  • Les snipers de la semaine... (199)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur Bonnet d'âne, Jean-Paul Brighelli flingue l'esprit moutonnier qui règne depuis le début de la crise sanitaire...

    L'instant mouton

    moutons.jpg

     

    - sur Polémia, Michel Geoffroy n'est pas en reste en opposant la France cocue  et contente à celle qui se révolte...

    La France confinée contre la France en gilet jaune

    Confinement_Soumission.png

    - sur son site, Michel Onfray dézingue la meute qui attaque le docteur Raoult et son traitement contre le coronavirus...

    Le loup et les chiens

    jean-paul brighelli,michel geoffroy,confinement,coronavirus,soumission,moutons,gilets jaunes

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  • On ne voit qu'une solution, c'est la dissolution !...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique mordante et réjouissante de la France de Campagnol, par Christian Combaz, consacrée à la crise du coronavirus et à la manière dont elle est ressentie par les Français d'en-bas. A déguster !

    Romancier et journaliste, Christian Combaz est notamment l'auteur de Gens de Campagnol (Flammarion, 2012), de Portrait de Marianne avec un poignard dans le dos (Le retour aux sources, 2018) et de La France de Campagnol (La Nouvelle Librairie, 2020).

     

                                        

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  • La liberté, malgré les urgences !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Eric Werner, cueilli sur le site d'Antipresse et consacré au recul progressif de la liberté en Europe, et en particulier en France.

    Penseur important et trop peu connu, Eric Werner est l'auteur de plusieurs essais marquants comme L'avant-guerre civile (L'Age d'Homme, 1998 puis Xénia, 2015), De l'extermination (Xénia, 2013), ou Un air de guerre (Xénia, 2017), et de recueils de courtes chroniques comme Ne vous approchez pas des fenêtres (Xénia, 2008) et Le début de la fin et autres causeries crépusculaires (Xénia, 2012). Il vient de publier dernièrement Légitimité de l'autodéfense (Xénia, 2019).

     

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    La liberté, malgré les urgences !

    Les sociétés européennes se trouvent aujourd’hui confrontées à de tels défis qu’il peut apparaître étrange, pour ne pas dire inactuel, de s’interroger sur ce que devient aujourd’hui la liberté en Europe. Ce n’est à coup sûr pas une priorité. Et pourtant c’est ce qu’on va essayer ici de faire malgré le couvre-feu matériel et mental imposé par la lutte contre le Coronavirus.

    Il est beaucoup aujourd’hui question de «dérive autoritaire» en Europe. C’est évidemment un euphémisme. La vraie question, en fait, qui se pose (au-delà même de celle consistant à se demander si nous sommes encore en démocratie) est celle de l’État de droit. Que subsiste-t-il aujourd’hui encore dans nos pays de l’État de droit?

    Je dis «nos pays», car la question ne se pose pas seulement dans certains d’entre eux à l’exclusion d’autres hypothétiquement mieux favorisés, mais peu ou prou partout. Un pays comme la France est évidemment en première ligne. Il serait fastidieux de dresser la liste de toutes les atteintes à l’État de droit survenues en France au cours de la période récente, en lien ou non avec l’épisode des Gilets jaunes. Ces atteintes sont graves et n’ont pas leur équivalent ailleurs. Mais il ne faut pas se faire d’illusions. On est certainement légitimé à insister sur la singularité française. Mais, d’une part, cette singularité n’est que relative, et d’autre part la France ne fait que précéder les autres pays dans une évolution d’ensemble n’épargnant, en fait, aucun pays. Elle a simplement une longueur d’avance.

    Le problème doit donc être abordé à l’échelle du continent dans son ensemble. On admettra sans peine par exemple que les violences policières constatées ces derniers mois en France n’ont pas leur équivalent en Suisse. Mais divers scandales survenus récemment à Genève, ville frontalière, montrent que la Suisse n’est pas a priori à l’abri de tels débordements (1). D’autres exemples pourraient être cités, notamment un, il y a deux ans, dans le canton de Berne. L’affaire avait débouché dans une interpellation au Grand Conseil bernois. Les violences policières sont encore en Suisse l’exception. Mais il ne faut pas dire qu’elles n’existent pas.

    Par ailleurs, les violences policières n’épuisent pas le problème. Ainsi, toujours en Suisse, le Parlement s’apprête à adopter un projet de loi sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme, projet de loi entérinant le principe selon lequel de telles mesures pourraient être prises en dehors de tout contrôle judiciaire. Il ne faut pas idéaliser la justice, ni bien sûr non plus surestimer son aptitude à protéger les libertés fondamentales (la violence judiciaire n’est pas un vain mot, elle n’a souvent rien à envier à la violence policière proprement dite), mais le contrôle judiciaire n’en est pas moins préférable à pas de contrôle du tout. Un tel contrôle ne garantit assurément pas en lui-même la survie des libertés fondamentales, mais peut en revanche, dans une certaine mesure au moins, la favoriser. Alors qu’avec sa suppression une telle survie devient hautement improbable, pour ne pas dire désespérée.

    Le modèle français

    La Suisse se borne ici à suivre l’exemple français, puisqu’en 2017 déjà le Parlement français avait décidé de transférer dans le droit ordinaire certaines dispositions de l’état d’urgence, au nombre desquelles, justement, l’abolition du contrôle judiciaire sur les actes des autorités en lien avec la lutte contre le «terrorisme». On met ici le mot «terrorisme» entre guillemets, car les autorités françaises ont tendance à user et abuser de cette notion en en donnant une interprétation très extensive. On est très vite aujourd’hui en France traité de «terroriste».

    On pourrait aussi parler des atteintes croissantes à la liberté de parole et de critique, qui font qu’il devient de plus en plus risqué aujourd’hui d’aborder certains sujets jugés sensibles. Il n’y a pas encore à l’heure actuelle en Suisse de loi Avia, mais il est évident qu’un jour ou l’autre il y en aura une, car on voit mal la Suisse ne pas s’aligner sur ce qui se fait ailleurs en ce domaine. Ce ne sera au reste pas très compliqué. Il suffira de compléter l’article 261 bis du Code pénal, par simple adjonction d’un ou deux alinéas, comme cela vient de se faire pour la pénalisation de l’homophobie. Il faut en tenir compte quand on dit que la liberté d’expression est aujourd’hui mieux garantie en Suisse qu’en France. C’est certainement vrai en soi, mais encore une fois, c’est le mouvement d’ensemble qui compte.

    Et ainsi de suite. En France toujours, un décret du 20 février dernier légalise le fichage généralisé des individus, au travers d’une nouvelle application numérique dénommée GendNotes. Les gendarmes sont encouragés désormais à collecter des données à caractère personnel (y compris celles relatives aux opinions philosophiques et politiques). Ils l’ont naturellement toujours fait dans le passé, mais c’est maintenant légalisé. On peut bien, si l’on y tient, parler ici de «dérive autoritaire», mais chacun admettra qu’il s’agit de tout autre chose. On assiste en fait à la mise en place d’un régime de type orwellien inaugurant une nouvelle espèce de totalitarisme. La généralisation à tous les coins de rue de la reconnaissance faciale s’inscrit également dans ce contexte.

    Insistons au passage sur le fait qu’avec l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), les choses se font en quelque sorte toutes seules. C’est une opportunité qui s’offre à l’État, et celui-ci, tout naturellement, en profite.

    L’humain rapetissé

    On est dès lors amené à se poser cette question: comment se fait-il que personne ne réagisse? En fait, ne se révolte? Car, effectivement, les gens ne révoltent pas. On pourrait dire que la non-révolte est chose normale: plus normale, en tout cas, que la révolte. On ne se révolte qu’exceptionnellement. Les gens ne se rendent pas non plus toujours compte à quels risques ils s’exposent en ne se révoltant pas. Ou quand ils s’en rendent compte, il est déjà trop tard. Ils cèdent également volontiers à la peur. Etc. Tout cela étant admis, on n’en reste pas moins surpris de la passivité et de l’absence de réaction des citoyens. Ils donnent l’impression d’être comme tétanisés. Il y a certes eu l’épisode des Gilets jaunes. Mais leurs revendications étaient d’ordre surtout économique.

    C’est un sujet complexe, on ne va bien sûr pas ici en faire le tour, juste développer une ou deux remarques. On s’inspirera ici du dernier livre d’Emmanuel Todd, Les Luttes de classes en France au XXIe siècle (2), qui aborde le problème sous l’angle anthropologique. Prenant le contre-pied d’une thématique aujourd’hui ressassée, celle de «l’homme augmenté», Todd dit que l’homme contemporain est au contraire extrêmement «diminué». L’individu n’est pas devenu aujourd’hui «plus grand», comme on le prétend parfois, mais au contraire «plus petit». Todd se réfère à certains travaux récents sur la dépression et la fatigue mentale des individus à notre époque. Il insiste également sur le fait que les dernières décennies ont été marquées par un double effondrement religieux et moral, double effondrement qui n’est évidemment pas resté sans effet sur la psyché individuelle. L’ancienne religion s’est effondrée, et avec elle l’ensemble des croyances et points de repère qui contribuaient jusqu’à une date encore récente à «encadrer» l’individu et par là même à le renforcer, à lui donner confiance en lui-même: on pense en particulier au cadre national. L’individu est aujourd’hui très largement abandonné à lui-même. Et donc, tout naturellement, tend à «s’affaisser», à se rapetisser.

    C’est un début de réponse. La fatigue, en elle-même, n’est pas nécessairement incompatible avec la révolte, il y a des gens fatigués qui pourtant se révoltent. Mais ce n’est pas le cas le plus fréquent. Ce que la fatigue nourrit plutôt, c’est le renoncement, la passivité. Mais on pourrait dire autre chose encore. Qu’ils soient ou non fatigués, les gens, en règle générale, se révoltent quand ils ont faim. Encore une fois, il faut citer les Gilets jaunes. Or être privé de liberté, ce n’est pas exactement mourir de faim. La liberté n’est pas un bien matériel, mais immatériel. On croise ici Dostoïevski et sa légende du Grand Inquisiteur. Le Christ dit au Grand inquisiteur: l’homme ne vit pas seulement de pain. Soit, mais la plupart de nos contemporains sont aujourd’hui sincèrement convaincus du contraire: l’homme ne vit que de pain. Pourquoi dès lors le fait d’être privé de liberté les conduiraient-il à se révolter?

    On retrouve ici l’effondrement religieux. Avec raison, Emmanuel Todd, met la fatigue en lien avec l’effondrement religieux. L’effondrement religieux conduit à la fatigue, qui elle-même conduit à la non-révolte. Sauf que ce passage par la fatigue n’est que facultatif. La non-révolte se laisse aussi penser comme un produit direct de l’effondrement religieux.

    Eric Werner (Antipresse n°226, 29 mars 2020)

     

    Notes :
    1. Voir Slobodan Despot: « L’affaire Simon Brandt, un “signal faible” — mais assourdissant! », Antipresse 219 | 09/02/2020.

    2. Seuil, 2020. Cf. en particulier le chapitre V (pp. 127-153).

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